Les médailles, tout un art
Le terme de « médaille » est ambigu. Aujourd’hui, dans le langage courant, il désigne une décoration civile ou militaire, ou encore un prix olympique. Jusqu’au XIXe siècle, il se rapportait surtout aux monnaies de l’Antiquité grecque et romaine recherchées par les collectionneurs. La médaille d’art est autre chose. Il s’agit d’un art né à la fin de l’époque gothique qui s’est diffusé en Italie, puis en France à partir de la seconde moitié du XVe siècle, et après 1500 dans les pays germaniques, et qui de ce fait s’est trouvé étroitement associé à l’esprit de la Renaissance. Il est en effet l’un des principaux vecteurs du portrait réaliste, mais aussi du goût humaniste pour les emblèmes et les allégories.
Une définition ancienne aide à comprendre ce que fut d’abord la médaille : « pièce de métal en forme de monnoie, faite pour conserver à la postérité le portrait des gens illustres, ou la mémoire de quelque action considérable » (Dictionnaire universel de Trévoux). Ce n’est donc ni une monnaie, même si elle est plus ou moins « monétiforme », ni un jeton de compte, ni, la plupart du temps, une décoration, mais d’abord un objet d’art et de collection qui présente des caractéristiques formelles précises. En tirage limité comme les estampes, faite de métal, circulaire, pourvue d’un texte à son pourtour, dit légende, qui donne le nom et les titres du personnage (illustre ou pas), petite, biface, en relief, la médaille montre fréquemment un portrait à l’avers et des armoiries, un emblème ou une composition allégorique au revers. Et elle a pour l’historien cette qualité bien utile d’être assez souvent signée et datée.
Deux arts ou techniques ont présidé à sa naissance : la sculpture, en particulier à travers la production de petits bronzes, et l’orfèvrerie. Les médailleurs qui avaient reçu une formation de sculpteur ont usé plus volontiers de la technique de la fonte en bronze, tandis que les orfèvres, qui étaient souvent aussi graveurs de coins monétaires, produisaient des médailles frappées comme les monnaies. Cependant, les techniques varient suivant que les artistes exécutent eux-mêmes leurs médailles ou bien n’en donnent qu’un modèle, et suivant aussi les traditions locales, l’Italie donnant la préférence au bronze coulé, la France, dans un premier temps du moins, à l’or frappé. Des peintres (Pisanello, Jean Perréal) ou des architectes (Matteo de’ Pasti, Alberti) s’adonnent volontiers à cet art nouveau, mais le plus souvent les médailleurs se recruteront parmi les fondeurs et les sculpteurs (Francesco da Milano, Pietro Laurana, Michel Colombe), les tailleurs de gemmes, les orfèvres, graveurs de sceaux et de coins (les Lepère de Lyon, Niccolo Spinelli de Florence), et même de simples amateurs comme le diplomate napolitain Jean de Candida, au service de la cour de France.
Les premières médailles françaises sont surtout commémoratives, comme celles qui, entre 1451 et 1460, célèbrent les victoires du roi Charles VII sur les Anglais et la fin de la Guerre de Cent Ans. Cependant, la commémoration est parfois subtile, ainsi d’une médaille frappée pour le jeune François Phébus, devenu roi de Navarre à l’âge de douze ans. Par convention, l’avers ou droit d’une médaille est le côté du portrait. Ici, contrairement à l’usage déjà établi, pas d’effigie ou de portrait du personnage, mais une simple titulature en latin qui nous dit que François Phébus est roi de Navarre et seigneur de Béarn par la grâce de Dieu, et des armoiries qui permettent de reconstituer la généalogie du prince, ses possessions territoriales, ses revendications, expectatives ou héritages possibles : « l’escarboucle » du royaume de Navarre, les deux vaches de la vicomté de Béarn, les trois pals du comté de Foix, les fleurs de lys du comté d’Evreux… Sur l’autre face, une scène narrative tirée de l’Evangile de saint Jean, montre l’apparition du Christ ressuscité à la Madeleine. Le choix de ce thème de piété aurait pu rester une énigme si l’on ne s’avisait que la propre mère du roi enfant, qui assura la régence pendant son bref règne (1479-1483), se prénommait Madeleine et n’était autre que la sœur du roi de France Louis XI. Sans doute fut-elle à l’origine de cette commande de médailles conçues comme un acte politique destiné à affirmer les droits de son fils à la couronne et les siens propres à exercer le pouvoir en son nom. Il n’en reste toutefois qu’un exemplaire unique, car les médailles en métal précieux, thésaurisées pour leur valeur intrinsèque, finirent souvent à la fonte.
Au début des années 1460, le roi René d’Anjou recrute deux sculpteurs, Pietro da Milano et Francesco Laurana, qui avaient travaillé aux reliefs du château de Naples. A l’exemple des princes italiens, il leur demande son portrait en médaille et ceux de la cour : son épouse Jeanne de Laval, son frère Charles du Maine, sa fille Marguerite d’Anjou, son fils Jean de Calabre, son gendre Ferry de Vaudémont, le fou de cour, Triboulet, et même son chien familier. Cette série constitue donc une véritable galerie de portraits de famille. Mais la médaille est aussi un cadeau diplomatique d’autant plus flatteur pour celui qui la reçoit que le bronze lui promet une renommée qui traverse les siècles. Comme pour apaiser le roi de France, René d’Anjou fait faire par Laurana, devenu son sculpteur attitré, une médaille sur le thème de la concorde, directement inspirée des monnaies des empereurs romains. Dans cette composition iréniste, le redoutable Louis XI, vêtu à l’antique, s’est transformé en allégorie de la Paix, un rameau d’olivier en main... A l’avers, son portrait encore jeune – il a alors une quarantaine d’années – coiffé simplement d’un chapeau en fourrure de castor, contraste avec la laideur de « l’universelle araignée » à laquelle la légende noire et les images d’Epinal nous ont habitué. D’inspiration antique également, la préférence donnée au profil dans le portrait en médaille accuse les traits aquilins du modèle. Elle s’accorde avec le goût de l’époque pour les traités de physiognomonie ou étude du caractère d’une personne d’après son physique.
A la fin du XVe siècle, la médaille est par excellence le présent que les villes font au roi et à la reine à l’occasion de leurs « Joyeuses entrées ». Ainsi à Tours en 1499, en prévision de l’arrivée de Louis XII, les échevins ont-ils résolu d’offrir dans une coupe d’orfèvrerie soixante médailles d’or. Le sculpteur Michel Colombe en donne le modèle et est aussi chargé des costumes du spectacle prévu, sur le thème de la fondation de la cité par le héros mythique Turnus. Le portrait du souverain surgissant d’un hublot, à l’avers du seul exemplaire conservé de la médaille, est exceptionnel par l’effet de relief et le réalisme du modelé qui ne masque ni les rides ni les joues creuses. C’est la seule création de Colombe dans ce domaine, mais elle lui vaudra de devenir sculpteur du roi. Au revers, la devise de Louis XII, le porc-épic couronné, repose sur une terrasse portée par trois tours vues comme en miroir, qui sont l’emblème parlant de Tours.
L’auteur anonyme de la médaille du jeune François d’Angoulême (futur François Ier) était sans doute aussi sculpteur. Il travaille en volumes et larges plans lisses qui contrastent avec le style plus minutieux des médailles royales. Celle-ci est célèbre par la salamandre dont c’est la plus ancienne représentation. Le chanoine Claude Paradin se souviendra dans ses Devises héroïques (Lyon, 1551) « avoir vu une médaille en bronze dudit feu roy, peint en jeune adolescent, au revers de laquelle estoit cette Devise de la Salemandre enflammée ». Le mot italien qui l’accompagne, « Je me nourris au bon, j’éteins le mauvais », se rapporte à cet animal mi-fantastique, réputé vivre dans le feu et s’en nourrir. Symbole de Justice, il est rendu comme un dragon dont la queue forme un lacs ou nœud. Et ce n’est pas un hasard car le nœud était l’emblème de la maison de Savoie. Louise de Savoie est certainement derrière cette création qui met en avant son fils, jeune prince « au dix ans de son âge », au moment où, en janvier 1504, une sérieuse maladie de Louis XII, toujours sans héritier mâle, lui laisse espérer la couronne. Un médaillon plus ambitieux encore fut conçu en 1512, alors que François venait d’être nommé lieutenant général du roi : son portrait lauré le montre en jeune César (BnF, Musée des médailles et antiques). Sa mère ne l’appelait-elle pas « mon César » ? (Journal de Louise de Savoie). Les médailles ponctuent son ascension. Une autre encore, de même facture que la première, présente deux portraits : Louise de Savoie au droit et sa fille Marguerite d’Angoulême au revers (BnF, MMA, Série royale, n° 85). Etait-elle destinée à François, qui quitte Amboise pour la cour en août 1508, pour lui rappeler sur un petit objet portatif les traits de deux femmes chères à son cœur ? A moins qu’il ne s’agisse d’une galerie de portraits célébrant la puissance montante des Valois-Angoulême et la fierté d’une mère...
I. Villela-Petit, « Les médailles, tout un art » (ridiculement rebaptisé « Quand les médailles n’étaient pas légion », dans le Hors-série Télérama, 2010 : 1500, La France entre Moyen Age et Renaissance. Une exposition au Grand Palais, p. 57-59.